Certaines réflexions de proches et la vie avec mon compagnon me font réaliser que j’ai un rapport compliqué avec le temps.
Je fais tout en temps et en heure, j’arrive toujours à l’avance quelque part, je me sens très stressée quand je suis tout juste dans les temps, je dis qu’il est la demi quand il est et quart et j’ai beaucoup de mal à supporter le retard des autres.
Cela a probablement dû commencer inconsciemment quand on a dit à mes parents à l’annonce du diagnostic de ma maladie que mon espérance de vie était comptée et qu’il ne fallait pas faire trop de plans sur la comète. À chaque opération chirurgicale subie lors de mon enfance, pour mes hanches, ma trachéotomie, mon arthrodèse du rachis, entre autres, tous les chirurgiens ne me cachaient pas le risque de rester sur le billard à toutes les anesthésies générales. Je me suis heureusement réveillée à chaque fois.
Cette peur a augmenté avec l’accident respiratoire que j’ai eu à mes 12 ans et pendant lequel j’ai manqué d’oxygène pendant suffisamment de temps pour que mon cerveau en subisse les conséquences et me plonge pendant plus de 15 jours dans une réalité parallèle où je tenais des propos absolument incohérents et où les médecins se demandaient si j’allais retrouver une activité cérébrale correcte. C’est lorsque j’ai totalement retrouvé mes esprits que j’ai compris que j’étais passée à deux cheveux de la mort, une nouvelle fois ! Heureusement, ma mémoire s’est complètement effacée pendant cette sale période. Mais mon cortex n’a pas complètement créé l’amnésie dans les conséquences sur mon esprit et mon corps.
Petit à petit, et jusqu’à aujourd’hui, ma maladie a gagné du terrain et m’a fait perdre toutes les forces physiques qu’il me restait, respiration incluse. Aujourd’hui, à chaque fois que je sens mon corps défaillir, je me vois me rapprocher de la fin et c’est incroyablement angoissant.
Alors j’ai ce besoin de faire toutes les choses rapidement quand je vais bien, de trouver une maison, de faire un enfant, de me marier, de voyager, d’être dans l’action sans cesse ! Je fatigue souvent mon entourage. Les glandeurs, les procrastinateurs, les gens qui ne font rien de leur vie alors qu’ils sont en pleine possession de leurs moyens physiques (je sais tout est subjectif), il me faut un effort incroyable pour ne pas les juger. Tout comme les gens qui prennent des risques inconsidérés pour leur santé et qui déclare : « Il faut bien mourir de quelque chose ! »…
J’ai du mal à me dire que J’AI le temps et que je DOIS prendre mon temps pour certaines choses car non, je ne l’ai pas. C’est très difficile à comprendre pour les personnes qui n’ont jamais côtoyé la mort de près. Beaucoup pensent avoir le temps ou n’ont juste pas peur que cela arrive. J’aimerais parvenir à ce niveau de sagesse. Cependant, j’ai trop l’impression de n’avoir pas encore tout vécu, surtout l’amour que je connais depuis seulement trois ans.
Je continue de vivre, beaucoup moins follement car mon corps ne me le permet plus mais je ne lui laisse pas souvent le choix. Je lui en demande beaucoup car pour moi la fin c’est quand il ne reste plus aucun mouvement, la fatigue grandissante est donc paradoxalement un bon signe que mon corps est encore vivant.
Je sais très bien que cette peur de la mort ne changera rien à l’heure fatidique. Ma méthode n’est probablement pas la plus apaisante pour moi mais elle résulte d’une expérience complexe avec l’ombre de la mort, qui vit à mes côtés sans m’envahir complètement mais qui ne me quitte jamais.
J’aimerais juste être comprise dans mon empressement envers tout. Je m’excuse auprès de ceux que ce trait de personnalité a dérangé ou dérange encore. Je fais très rarement des rêves mais souvent des cauchemars où je me vois mourir. Je suis en pleine lutte contre cette course intérieure contre le temps et j’ai l’impression que si j’arrête de lutter, si enfin je lâche prise, je vais m’effondrer.
C’est courageusement que j’avance quand même toujours, avec cette affreuse peur au ventre.