J’ai déménagé fin 2021 en Alsace, pour me rapprocher de la famille de mon mari, décision principalement motivée par difficultés de trouver des auxiliaires de vie fiables et pour avoir la possibilité de compter sur lui en cas de problèmes ou d’absence, sans être trop éloignée, quand il voit ses proches.
Pour la petite histoire, je suis née dans la campagne savoyarde, à Albertville, en 1982 où j’ai vécu pendant plus de 18 ans. Ensuite, je suis partie à Grenoble, suivre des études de langues étrangères. Quand on vient d’une petite bourgade, très conservatrice, aller dans une grande ville, comme Grenoble, avec toute la diversité d’un campus étudiant, a été pour moi une bouffée d’oxygène. La pollution qui y réside ne m’empêchait pas de mieux respirer que chez mes parents.
J’ai obtenu mon Master de traduction spécialisée en 2007. Je suis ensuite revenue chez mes parents pendant 4 ans pour trouver des solutions afin de vivre en autonomie dans un appartement accessible, adapté et avec la présence d’auxiliaires de vie 24 h/24. Je suis retournée à Grenoble en 2011 où j’ai vécu mon début de vie de femme active handicapée, la plus libre possible.
Quand nous avons décidé d’emménager en Alsace en 2021, la petite villa en location dans le sud de l’Alsace était le seul logement accessible, en rez-de-chaussée, dans le privé et dont la superficie était supérieure à 60 m² que nous avons trouvé. Nous avons donc emménagé sans nous douter de l’horreur dans laquelle nous nous plongions.
Nous n’avions pas senti venir les problèmes, en pensant que nous serions tranquilles, puisqu’il s’agissait d’une résidence sénior, montée par un gros promoteur. Malheureusement, c’était sans penser que toustes les habitantEs de cette résidence était des personnes âgées, aisées, blanches pour la plupart et plutôt en bonne santé. Je ne reviendrai pas sur l’évènement validiste et les discriminations dont j’ai été victime en milieu d’année 2023. Je me suis rendue compte que je n’étais pas la bienvenue dans ce milieu en tant que femme en situation de handicap de 40 ans. Tout a été fait pour me faire sortir de là. Je vous laisserai relire l’histoire en détail. En tout cas, partir fut comme une délivrance, je n’ai jamais été aussi heureuse de quitter un lieu de vie où il devenait quotidiennement toxique de croiser les regards de celleux qui ne voulaient pas vous voir vivre parmi elleux.
Je souhaiterais parler aujourd’hui de ce ressenti que partagent beaucoup de personnes handicapées qui cherchent à venir habiter dans les endroits, où les « minorités » se sentent tellement plus à l’aise et où j’ai décidé de m’installer actuellement.
Ici, à Strasbourg, le regard des autres sur moi, s’installe de façon aussi banale que je peux poser le mien sur d’autres individuEs.
Ici, à Strasbourg, je croise très fréquemment d’autres personnes handicapées.
Ici, à Strasbourg, les enfants qui passent à côté de moi, ne sont pas complètement bloquéEs à ma vue, car iels en ont déjà vu d’autres.
Ici, à Strasbourg, une grande partie des bâtiments sont accessibles aux personnes à mobilité réduite.
Ici, à Strasbourg, j’ai accès à la culture qui m’ouvre au monde extérieur.
Ici, à Strasbourg, je ne vis pas parmi tous ces gens qui se créent des opinions et des visions du monde par ce qu’iels entendent dans les médias mainstream.
Ce sont les élections précipitées de l’été 2024 qui m’ont alerté et qui m’ont fait agir. Dans ce pays où il est de plus en plus difficile de vivre quand vous n’êtes pas privilégiéE, qu’il s’agisse de votre état de santé, de votre couleur de peau, de votre orientation sexuelle, de votre genre, etc. Avec la montée de l’extrême droite en Europe, je sentais qu’il fallait que j’essaye de sauver ma peau en m’éloignant de ces campagnes toxiques remplies de ce genre de profils qui s’alimentent entre eux d’idées nauséabondes.
Strasbourg est un tout petit point de gauche dans une marée de droite que représente l’Alsace. Mais j’ai l’impression que cette capitale européenne va me permettre de faire de grandes choses en tant que paire-aidante en santé sexuelle, de pouvoir vivre mon feu militant pour les juste causes, pour faire entendre que j’existe. Je pense même que vu le déni démocratique de notre gouvernement actuel, il est plus que nécessaire d’agir collectivement et je ne pouvais pas le faire en étant cloîtrée dans une campagne si conservatrice.
Ma recherche d’auxiliaire de vie que j’ai pensé plus simple vers une grande ville, n’est pas des plus faciles. Beaucoup d’entre nous ont encore plus de difficultés à trouver des aides à domicile depuis que le COVID a mis en lumière la précarité de ces métiers parmi d’autres. Très peu veulent aujourd’hui travailler dans cette branche et ce sont les personnes qui en ont besoin pour survivre qui en pâtissent en premier. C’est une des violences systémiques que notre société validiste continue de perpétrer. Tant que nous ne bénéficierons pas de réel financement pour la compensation de notre handicap afin de vivre hors institutions de manière décente, on ne pourra pas prétendre à être correctement accompagnéE. Cela va dans la continuité du projet de loi sur l’aide active à mourir. Après tout, si les personnes handicapées ne trouvent pas de solutions pour vivre chez elles, on peut les aider à mourir…
Maintenant, je vais me délecter de la joie de découvrir avec mon mari une ville aussi dynamique et engagée que Strasbourg, en espérant faire de nouvelles connaissances, de me créer de nouveaux réseaux amicaux plus alignés à ma personnalité. Mes amiEs de Grenoble me manquent mais la dépendance nous impose systématiquement des choix, réfléchis mais contraints, pour survivre.
Il faut que j’y vois les nouvelles opportunités que cela va m’apporter. Si vous habitez dans le coin, au plaisir de vous croiser.