HORS DE MA VUE*


Article / mardi, juillet 25th, 2023

« Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous »

Montesquieu

Ce billet va être long mais, au vu des différents sons de cloche sur une affaire qui me concerne et de tout ce que j’ai pu entendre par la presse et dans le voisinage, il me paraît aujourd’hui important que je vous parle de tout ce que je suis en train de vivre et de mettre tout cela en lien avec le validisme contre lequel je me bats tous les jours personnellement et collectivement aux côtés de mes consœurs du collectif Les Dévalideuses.

Commençons par tenter de résumer les faits. Nous louons une villa de plain-pied dans une résidence senior depuis fin 2021. Vous allez me dire, qu’est-ce que je fais dans ce type de logement alors que je suis quadragénaire ? Il s’avère qu’en réalité, il existe tellement peu d’habitations accessibles en vente ou en location, j’ai cherché pendant des mois avant de trouver cette solution qui me permet de n’avoir aucune marche, aucun étage et de bénéficier d’un jardin. Les seuls logements adaptés sont tous regroupés dans le social, plutôt petit, sans accès en extérieur ou avec un tout petit balcon, généralement avec des ascenseurs qui tombent fréquemment en panne et dont les lenteurs de réparation ne garantissent ni liberté ni sécurité, et principalement dans des grandes villes. Ces logements sociaux adaptés sont par ailleurs tellement peu nombreux par rapport à la demande, qu’il faut des années pour y avoir accès. Tous les autres biens immobiliers à louer ou à vendre en campagne sont absolument inaccessibles. Ou alors il faut que vous fassiez construire votre propre maison, à des prix bien plus chers, particulièrement quand il est nécessaire de rester à distance raisonnable d’une ville pour ne pas être trop éloigné des aides humaines, et que cela augmente évidemment le prix du terrain éventuel à acquérir. Bref, quand tu es en situation de handicap, soit tu vis dans du social, soit tu es extrêmement riche, soit tu prends un intermédiaire en acceptant de vivre parmi tes congénères au grand âge.

Le logement nous a été loué avec un garage, que nous pensions à minima adapté pour accueillir un véhicule moyen. Il se trouve que ce dernier n’est déjà pas aux normes pour une voiture dite classique, alors imaginez l’impossibilité pour un véhicule aménagé aux plus grandes dimensions. Je rappelle qu’au début, on nous permettait de nous garer sur d’autres places visiteurs non adaptées ou privatives sur lesquels nous devions reculer le véhicule à chaque déplacement pour que je puisse y accéder par le côté quand une voiture était garée à côté ! Je ne vous raconte pas la galère. Les logements se remplissant, mon mari et moi n’avons eu plus d’autre choix que de nous garer sur une place PMR visiteur.
Étant donné que la législation n’impose pas de vendre ou louer des places PMR à des personnes en situation de handicap, toutes les autres places adaptées étaient déjà acquises ou en location par des personnes non handicapées pour la plupart.
Dans ce cas de figure, la loi nous autorise à louer une place PMR visiteur à condition que le syndicat de copropriété le vote en assemblée générale.
Nous avons donc fait la demande par courrier à notre propriétaire car en tant que locataire, nous ne pouvons avoir de lien direct avec le syndicat de copropriété. Cette dernière n’en a que vaguement parlé, sans jamais vraiment s’y intéresser, gérant sont bien de façon bien désinvolte et l’ayant d’ailleurs actuellement mis entre les mains d’une agence de location immobilière décentralisée.
Dans cette histoire, personne n’a cherché à savoir pour quelles raisons nous avions besoin de cette place, pour quelles raisons il m’était plus simple de pouvoir bénéficier d’un stationnement qui me permettait de sortir sur le côté. Personne ne s’est également demandé s’il était normal que nous payions un loyer conséquent avec un garage qui n’est pas adapté au sein d’une résidence senior. Le promoteur avait fait son job de vendre à une propriétaire qui elle-même avait fait son job de louer son bien, en se contentant de toucher les loyers ! Le reste, démerdez-vous bien.

Quelques propriétaires à la tête du conseil syndical de copropriété n’ont pas apprécié que nous garions sur cette place PMR visiteur. Je précise que ces derniers n’ont aucun problème de santé, ne sont absolument pas en situation de handicap et n’ont donc en aucun cas besoin de se garer sur ce type de place !
Ces personnes ont régulièrement incité des visiteurs qui n’avaient pas la carte de stationnement handicap à se garer sur cette place pour nous importuner.
Aux yeux de la loi, rien ne m’interdit de me garer sur cette place en tant que personne en situation de handicap détentrice de la carte de stationnement mobilité inclusion. Dans le cas contraire, je sais que ma voiture serait déjà depuis bien longtemps à la fourrière !

Voyant à de nombreuses reprises que cette place était occupée par des personnes sans handicap, nous avons d’abord contacté les forces de police qui nous ont dit ne pas pouvoir intervenir dans le cadre d’un parking privé.
Depuis un an, rien n’avance. Aucune réponse à nos demandes. Le dernier événement en date du 5 juillet 2023, prouvant la volonté de me nuire, rendant évident que ces gens ne souhaitent pas me voir dans leur voisinage et qui a démontré que ces personnes ne sont pas d’accord avec ce qu’il considère comme un privilège d’être en situation de handicap et de devoir me garer sur une place PMR, a été l’installation d’un imposant bac de fleurs juste à l’endroit où je sortais de mon véhicule, collé contre la place en question afin de m’empêcher d’y accéder.

Face à cette incroyable discrimination, une colère profonde m’a envahi et j’ai alerté du mieux que j’ai pu les médias et les réseaux sociaux. Le maire de notre commune (Kembs, Haut-Rhin) a eu vent de l’affaire et m’a fait contacter par l’une de ses adjointes pour m’informer qu’il avait tenté de demander le retrait de ce bac de fleurs mais qu’il n’avait aucun pouvoir pour le faire retirer. Le lendemain, j’ai alerté les gendarmes qui sont venus constater, qui ont tenu un incroyable discours de totale compréhension de la difficulté, de l’évidence de la volonté de nuire mais de leur impuissance totale dans le cadre d’une propriété privée.

Un journaliste de France Bleu a reçu mon alerte, s’est déplacé jusqu’à chez nous et s’est fait « bien » recevoir par le gardien de mèche avec les personnes à l’origine des faits, a recueilli quelques témoignages par-ci par-là. Remontés par la venue du journaliste, les agresseurs ont décidé de sceller le bac pour ne pas que nous le déplacions. L’affaire n’a fait que 15 secondes à la radio sans aucune parole des concernés, aucune retombée. Un autre journaliste de France 3 Région qui réalise des articles uniquement sur internet a rédigé deux articles qui ont fait davantage de bruit.

Le premier a présenté les faits. Ce qui a valu de mettre un peu en lumière cette affaire.
Dans le deuxième, il a contacté le syndicat de copropriété qui a tenu un discours tellement absurde et incroyable. D’après leurs propos, c’est mon mari qui aurait demandé de mettre un bac de fleurs ! Par la suite, ils ont déclaré que c’était pour empêcher des personnes de tomber avec le ressaut qui ne devrait pas être là. Ils avouent ainsi que leur place n’est pas conforme aux normes… Ils pensent peut-être naïvement qu’un bac de fleurs va arranger les chutes ! Depuis le début, tout le monde me dit qu’ils sont simplement bêtes mais je crois que c’est trop simple de leur attribuer cette caractéristique. Ils sont tout à fait conscients de ce qu’ils font et ne se sentent absolument pas menacés, ils n’en ont juste rien à faire de ce que je pourrais avoir à redire. C’est là que réside la stricte discrimination.

Une représentante du promoteur à la tête du syndicat est venue entre-temps, non pas pour demander de retirer le bac, mais pour demander de bétonner un petit carré juste à côté. Le passage est toujours extrêmement étroit pour le passage du fauteuil roulant et le bac de fleurs continue à complexifier la manœuvre lorsque l’on se gare.
Mon mari, qui a pu discuter avec cette femme (ce dont je ne suis plus capable étant si violemment agressée, je n’arrive plus à me comporter calmement face à de tels agissements), s’est vu proposer une petite place privative non adaptée à louer en plus de notre loyer, arguant que si elle nous octroyait de louer la place PMR visiteur, elle se mettrait les propriétaires à dos. Je précise bien que de nombreux voisins sont contre le placement de cet obstacle qui s’est fait sans leur consentement mais que seules quelques personnes font leur loi et la plupart ne risquent pas leur tranquillité en exposant leur mécontentement, quand elles peuvent le faire, certaines étant trop âgées pour se plaindre.
Je n’aurais pas pu rester sereine en entendant ce que cette femme a dit aux voisins également présents lors de cet échange avec mon mari : « Faites attention avec cette histoire dans la presse, vous dévaluez votre bien ». Sans parler de l’ahurissante solution proposée de se servir, si elle est libre, de la place PMR visiteur comme dépose-minute avant de garer la voiture sur une petite place classique.
Sérieusement, ils pensent que je vais sortir de l’argent pour ajouter toutes ces contraintes à mon quotidien, à réduire ma qualité de vie pour complaire à des esprits étroits et pour les renforcer dans leur idée que je n’ai rien à faire parmi eux ?

Nous sommes en plein dans ce capitalisme à vomir, qui fait le lit du validisme de notre société.

La seule possibilité d’action est aujourd’hui juridique. Il va falloir faire appel aux voix de la justice dans le cadre de la discrimination et de la réelle volonté de nuire.
J’ai donc mandaté une avocate qui au vu des faits, est très confiante quant au dénouement. Cependant, la lenteur des instances judiciaires va certainement m’obliger à subir cette discrimination encore trop longtemps.

Ils ne pensaient certainement pas que j’allais me défendre. Ils me voient tous par le simple prisme de mon immobilité corporelle et ne doutent probablement pas que j’ai deux activités professionnelles, que je milite activement depuis de longues années et que je ne laisse pas passer ce genre d’injustice.

Ma santé mentale en est profondément affectée. Mon sommeil est extrêmement perturbé, je fais de nombreuses crises d’angoisse, je suis perpétuellement sur la défensive. Je ne peux pas me défouler physiquement, j’ai donc toute cette colère bloquée en moi et qui a tendance à grossir de jour en jour.

Seule une personne victime de discrimination peut comprendre l’impact que de tels actes peuvent avoir. C’est une réelle agression, je me sens profondément heurtée dans mon intégrité, au seul endroit où justement je devrais être tranquille chez moi. J’ai un fort sentiment d’insécurité, à chaque fois que je me rends à ma voiture, de peur de croiser les agresseurs en question. À chaque fois que je rentre d’un déplacement, je ne sais même pas si j’aurais accès à une place de parking. Si, comme ils aimeraient, je ne doive pas me garer à plusieurs centaines de mètres et continuer le chemin en fauteuil roulant. C’est un stress permanent. Moi qui pensais être au calme dans une résidence senior, c’est bien tout le contraire qui se passe. J’ai habité plus d’une dizaine d’années dans un quartier populaire à Grenoble, jamais je n’ai eu affaire à ce genre de comportements !

J’ai reçu beaucoup de soutien sur les réseaux sociaux, bien sûr le côté ubuesque de la situation paraît invraisemblable aux yeux de nombreuses personnes. J’ai même une amie qui m’a dit que je n’étais pas seule. En effet, en termes de victimes de discrimination, je suis loin de l’être malheureusement. Par contre, je me sens tout de même bien seule car c’est l’une de ces discriminations qui ne fait pas beaucoup bouger. S’indigner c’est bien, agir c’est mieux. Et le validisme, très peu de gens vont manifester contre. C’est le problème de petites minorités, nous n’avons pas à nous en mêler !

Par ailleurs, tout le monde pense qu’il s’agit d’un cas isolé, une histoire de purs crétins agissant avec égoïsme comme on peut en rencontrer parfois dans sa vie. Ce que la société a du mal à intégrer, c’est qu’il s’agit d’un validisme systémique, où l’on va donner moins de valeur de façon générale à une personne en situation de handicap. Nos politiques actuelles perpétuent cette oppression, il n’y a qu’à se pencher sur les questions d’accessibilité pour en avoir une vague idée. La loi de 2005, qui a déjà connu un report en 2015, n’est toujours pas appliquée de façon universelle et les dérogations continuent de pleuvoir.

Lorsque nous nous sommes aperçus de nombreux points non conformes au sein de la résidence, mon mari et moi avons contacté la commission accessibilité de notre secteur et lorsque nous lui avons notifié l’ensemble des éléments qui ne sont pas conformes contrairement au rapport d’accessibilité du promoteur, celle-ci nous a répondu qu’elle n’avait pas le temps de vérifier toutes les réalisations immobilières. Dans ce cas, pouvez-vous me dire quelle est son utilité ? Allons-nous continuer à laisser ces promoteurs ne pas respecter les lois en toute impunité ? Les politiques qui choisissent de laisser faire sans agir incitent à la reproduction de tels comportements et de tels obstacles à la vie des personnes en situation de handicap. Il existe encore trop peu de sanctions quand on arrive jusqu’au procès.

Où est notre valeur en tant qu’êtres humains dans cette volonté de nous voir disparaître, mis de côté dans des institutions, hors de toute interaction avec la population ?

Cela fait près d’un mois que je dépense une énergie folle rien que pour faire reconnaître mes droits. Ils croient peut-être que je n’ai que cela à faire ? Je suis épuisée de devoir gérer tout cela alors que j’ai bien d’autres problèmes de santé qui me fatiguent déjà énormément. Sans compter l’argent que je vais devoir mettre dans cette affaire avant que justice soit faite.

Peut-être que je perds mon temps et que je laisse une part de mon espérance de vie dans toutes ces guerres pour la dignité. Que je devrais me barrer vite fait de toute cette toxicité. Je ne peux pas me résigner à subir ces actes discriminatoires et je continuerai aussi à me battre collectivement pour tous mes congénères en situation de handicap à qui l’on a retiré toute la force de revendiquer leurs droits, quand ils ont encore la possibilité de le faire.

Pour en savoir plus sur le validisme, quelques ressources :
Les Dévalideuses – Bonne résolution n°1 : Je découvre le validisme !
Beaview – Qu’est-ce que le validisme ?
Podcast France Culture Lutter ensemble contre le validisme
Sud Éducation – Le validisme, qu’est ce que c’est ? Comment le combattre au quotidien ?
Les Couilles sur la table – Dévalider la virilité

*Expression utilisée pour résumer cette histoire par Elena Chamorro, militante anti-validiste, qui m’a apporté son soutien sur les réseaux sociaux

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *