Inatteignables évasions d’une dépendante


Article / mardi, mai 17th, 2022

Je me réveille. Je peux regarder l’heure qu’il est sur mon téléphone. Je peux descendre ma couette car j’ai un peu chaud. J’ai envie d’aller aux toilettes et je peux y aller tout de suite, doucement, sans réveiller personne. Je n’ai aucune douleur, aucun engourdissement. J’ai l’impression de chercher le plafond. J’ai soif et je peux aller boire un thé, ou même deux, je bois autant que je veux. Je pourrais retourner aux toilettes rapidement, je ne dérangerai personne à part moi. Il est rare que l’on s’agace des petits gestes, si nombreux, que l’on fait pour soi.

Je vais dehors, il fait frais mais je peux toujours bouger. Je consulte mon téléphone, il est si léger, il est si doux du bout des doigts. Pas d’interface fatigante à utiliser.

Je pense à mon antidouleur mais je n’en ai pas besoin.

J’ai des papiers à ranger et je m’y attelle. Je prends des feuilles, je les mets dans une pochette. Je range la pochette. Je regarde ce qu’il reste, j’ai oublié de classer un document. Ce n’est pas grave, je n’ai pas anticipé et j’en suis soulagée. Je recommence la manipulation et je n’exaspère personne car c’est moi qui le fais.

Je n’ai pas terminé mon thé, pourquoi ? J’ai encore soif. Je le sirote jusqu’au bout sans m’inquiéter.

La maison est poussiéreuse. Ça fait longtemps que je la vois cette poussière en essayant de l’oublier. Aujourd’hui je n’ai pas à l’oublier puisque je vais l’enlever.

Je prends du temps pour me faire un soin du visage, j’utilise tous les produits que je veux. Je m’habille rapidement, pas besoin de plus de trois minutes.

Quelque chose me manque sur le ventre. Je ne suis pas comprimée et je respire bien.

Je n’ai toujours mal nulle part.

Je fais le ménage à fond, ça brille et ça fait du bien. Quel bien-être, quelle satisfaction ! J’ai comme l’impression de me sentir vraiment chez moi.

Sur mon agenda, il est noté que je suis invitée. Mais je n’ai personne pour m’accompagner. Soudain, je sais que j’ai une voiture. Je repère les clés, je peux y aller seule. Je regarde encore incrédule ce permis à mon nom dans mon portefeuille, il me paraît si étranger et c’est le document le plus libérateur que je semble n’avoir jamais vu.

Je démarre mon véhicule et commence mon trajet. Je peux aller vite, je ne suis pas secouée, je tiens droite, je n’ai pas mal en roulant sur les bosses. Je souris, je ris fort, je ne le fais tellement pas souvent que j’en ai mal aux mâchoires. Enfin, si c’est ça avoir mal… J’en rigole encore plus.

J’arrive à destination, mes hôtes habitent dans un appartement au quatrième étage sans ascenseur et avec cinq marches à l’entrée de l’immeuble. Pourquoi n’ai-je pas pensé à vérifier l’accessibilité ? Rien de grave, ce n’est pas un problème. Plus rien ne semble être un obstacle, la vie paraît trop simple, beaucoup trop simple.

On me propose des cacahuètes, j’adore les cacahuètes mais je préviens que je ne peux pas en manger. On me demande si je suis allergique, je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça. Je les avale sans problème, elles glissent dans ma gorge, je ne tousse pas. Tout va bien.

Je bois un, deux, trois verres, les toilettes sont à côté, à ma portée.

Je reçois un appel de mon compagnon qui me dit qu’il a besoin de moi pour du bricolage. Pourquoi me pose-t-il cette question ? Ah oui, bien sûr, avec plaisir, j’arrive. Je n’ai jamais été si enchantée d’être demandée à la rescousse.

Je suis aussi heureuse de quitter mes amis que de les avoir rejoint car je reprends ma voiture. J’ai comme envie de faire durer le voyage et d’éviter tous les raccourcis possibles pour parcourir encore plus de kilomètres.

Tiens, mon compagnon est agacé, il m’a attendu, il râle. C’est presque plaisant. J’offre mon assistance avec grand plaisir, je me sens utile, j’ai aidé physiquement quelqu’un.

Je n’ai toujours aucune douleur.

Mon compagnon semble cassé et veut faire une pause, mais pas moi, je ne me sens vraiment pas fatiguée et je voudrais faire encore plein de choses. Je respire bien.

Je vais aux toilettes, c’est la sixième fois de la journée et nous ne sommes qu’en plein après-midi !

Je me soulage et vais rejoindre mon compagnon dans la douche car j’ai d’autres plans en tête. Je me jette sur lui, rien ne me résiste, tout mon corps s’exprime, rien ne l’arrête. On va s’allonger, ce soir c’est moi qui prends les commandes.

Dans un soupir, j’ouvre les yeux et je vois ce plafond que je reconnais immédiatement.

J’ai chaud, je ne peux pas me découvrir, j’ai soif, j’ai envie d’uriner, j’ai mal au sacrum et je vais devoir attendre encore car j’aime trop mon compagnon pour déjà le réveiller.

Retour à la réalité, trop de simplicité, trop de liberté, trop de bonheurs en même temps. J’ai déjà oublié la sensation du fou rire mais je remercie mon imagination aussi destructrice que salvatrice…

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