Se vendre sur le marché de la santé


Article / lundi, novembre 16th, 2020

Voici quelques jours où je m’agace d’une triste réalité concernant un système injuste dont je ne peux malheureusement m’extirper.

En 2018, j’apprenais que des traitements efficaces en provenance des États-Unis commençaient à arriver pour améliorer les conditions de vie des personnes atteintes de ma maladie, particulièrement les enfants, qui n’ont encore pas trop subi les effets du vieillissement. Le seul médicament proposé à cette époque était malheureusement uniquement admissible par injection intrathécale[1]En médecine humaine ou vétérinaire, on parle de ponction intrathécale ou d’injection intrathécale, donc faites dans un compartiment fermé ou un espace virtuel. … Continue reading, procédé rendu extrêmement complexe, voire quasi impossible, lorsque la personne malade était, comme moi, entièrement arthrodésée au niveau du rachi (plus simplement, si elle possédait deux tiges en titane de chaque côté de la moelle épinière pour remplacer l’absence de muscles qui sont censés tenir le dos droit, opération systématique depuis les années 80/90, réalisée fréquemment en début d’adolescence, pour continuer à vivre assis(e), et non alité(e) comme auparavant, avec cette maladie).

Les médecins et chercheurs/chercheuses promettent à ce moment-là qu’un traitement par voie orale sera disponible environ deux ans plus tard.

C’est donc aux alentours du milieu de cette année 2020 que j’ai pu commencer à parler de ce traitement avec la médecin spécialiste qui me suit. Après m’avoir expliqué en téléconsultation (CoVid oblige) la procédure à suivre pour espérer bénéficier de ce traitement, j’obtiens un autre rendez-vous quatre mois plus tard. Celui-ci doit obligatoirement se tenir en présentiel à l’hôpital pour pouvoir remplir correctement le dossier de demande d’Autorisation Temporaire d’Utilisation (ATU[2]Une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) est une procédure française créée en 1986 et permettant à certaines catégories de malades d’utiliser des médicaments n’ayant … Continue reading) en évaluant avec un(e) ergothérapeute mes fonctions motrices précises actuelles et qui pourraient hypothétiquement s’améliorer avec le traitement.

Je sais très bien que je fais partie des vieux malades (au-delà de 25 ans, on est considéré comme sujet âgé dans la maladie) et que je ne suis pas prioritaire par rapport aux enfants chez qui les traitements ont une efficacité avérée bien plus importante. J’attends donc mon rendez-vous sagement. Deux jours avant la date fixée, je reçois un mail m’informant que le rendez-vous a été reporté d’un mois. J’apprends par la suite, après m’être quelque peu énervée, que je suis à nouveau comme beaucoup de personnes, victime de la crise financière des hôpitaux publics. En effet la médecin en charge du montage des dossiers de chaque patient(e), enfants comme adultes, atteint(e) de ma maladie, est seule à devoir traiter l’ensemble des demandes, l’autre médecin au poste similaire étant partie et n’ayant pas été renouvelée.

J’apprends aussi en me renseignant auprès de mes pairs que les dossiers de demande d’ATU ont de plus en plus de mal à être acceptés car la validation a été quasi systématique pour tou(te)s les premier(ère)s patient(e)s reçu(e)s, principalement les enfants, et que les autorités sanitaires commencent à freiner des quatre fers et à chercher des stratégies pour diminuer les accords aux malades restant(e)s, souvent les plus vieux(vieilles). Il nous est aujourd’hui demandé de prouver qu’il est impossible de recourir à l’injection intrathécale par scanner, en mettant soudainement de côté la douleur, l’inconfort, les risques liés aux infections du matériel et l’ensemble des éléments qui ont convaincu de nombreux malades à patienter pour bénéficier d’un traitement oral.

Il faut par ailleurs avoir une argumentation béton sur l’utilité du traitement, ce qui paraît tellement évident, au vu de la perte régulière des fonctions motrices de chaque malade, notamment en vieillissant. A 38 ans, il me reste actuellement la mobilité d’un pouce (qui commence à fléchir souvent dès le réveil), celle d’un orteil, de l’ensemble des muscles de mon visage. Mon diaphragme que j’assiste avec une sangle abdominale, que je serre de plus en plus (non sans conséquences douloureuses) pour tenter de respirer sans me fatiguer jusqu’à l’épuisement, est un autre de mes muscles bien atteints qu’il me reste encore, avant de passer à une ventilation mécanique permanente. Ceci ne semble pas être suffisant, car je dois aussi prouver l’aggravation récente (c’est vrai, après tout vous avez bien fait sans pendant toutes ces années…).

Il est également nécessaire que je détermine précisément des objectifs atteignables et mesurables de gains de fonctions motrices. Personnellement, je souhaiterai avant tout que le traitement mette un terme à l’évolution de ma maladie, que celui-ci me permette de lutter un peu moins contre la fatigue, de respirer ne serait-ce qu’un petit peu mieux, et éventuellement de garder un peu plus longtemps la fonction de mon pouce qui me permet de faire pratiquement tout avec des adaptations techniques, dans ma vie que j’ai choisie de garder (très) active.

Le laboratoire ayant élaboré ce traitement met pour l’instant son produit à disposition à titre gracieux, probablement pour gagner des retours sur les effets post-essais. Lorsque le traitement onéreux sera définitivement sur le marché, probablement d’ici un semestre environ, le financement sera une toute autre question et j’apprends que si notre dossier de demande d’ATU a été refusé, il semblerait difficile d’obtenir le droit de bénéficier de ce médicament remboursé par l’État.

J’attends donc, avec impatience mais aussi beaucoup d’appréhension, ce rendez-vous du 11 décembre, en espérant que la médecin en charge n’ait pas souffert de burn-out d’ici là, en croisant les doigts pour qu’il lui reste suffisamment d’énergie pour argumenter avec moi un dossier qui va être examiné par des personnes haut placées pour lesquelles je ne suis qu’un numéro à qui l’on accorde le droit ou non de pouvoir vivre mieux les années qui lui restent à vivre. Je n’aime pas me vendre, je trouve cela ignoble de devoir justifier de problèmes de santé évidents, mais je n’ai pas le choix.

Jamais je n’aurais pensé pouvoir bénéficier d’un tel traitement pour aller mieux. J’avais fait une croix dessus et la brèche a été ouverte il y a quelques petites années, avec toutes les conséquences que l’espoir naissant peut faire apparaître et qu’il faut assumer. J’ai d’ailleurs pris une décision extrêmement difficile, dont je parlerai plus tard ici, notamment dans le but de bénéficier de ce traitement, en espérant que cela n’aura pas été vain. Tout cela n’est pas sans remous… Sur ce, je me souhaite bonne chance au jeu éternel de la roulette de la santé !

References

References
1 En médecine humaine ou vétérinaire, on parle de ponction intrathécale ou d’injection intrathécale, donc faites dans un compartiment fermé ou un espace virtuel. L’injection dans l’espace, ici au niveau des lombaires, permet d’atteindre le liquide céphalo-rachidien qui diffusera à son tour le produit injecté.
2 Une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) est une procédure française créée en 1986 et permettant à certaines catégories de malades d’utiliser des médicaments n’ayant pas encore été mis sur le marché. L’ATU nominative ou ATUn, délivrée pour un patient nommément désigné, délivrée par la cellule ATU de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) à la demande du médecin. Elle est accordée pour une durée limitée (1 jour à 1 an) éventuellement renouvelable. Les médicaments étant soumis à ATU sont délivrés uniquement dans les pharmacies à usage intérieur des hôpitaux.

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