Cela fait trois mois que mon quotidien est difficile. Alors en réalité, ça date depuis ma naissance mais mes récents soucis de santé ont surchargé la mule.
Mon corps a subitement décidé de me déclencher des douleurs quand je m’assois. Après tout, ça fait presque 40 ans que je lui impose cette position environ 14 h par jour… Malgré d’interminables essais de coussins, je ne suis toujours pas des plus confortables et je dois prendre des anti-douleurs qui me fatiguent le cerveau autant que la souffrance physique et psychologique induite.
Pour couronner le tout, j’ai développé un volumineux nodule thyroïdien qui dévie complètement ma trachée créant des appuis sur ma canule et entraînant des soucis respiratoires m’obligeant à me ventiler H24 sous respirateur.
Après de grosses difficultés à trouver un endroit où me faire opérer dans le respect de mes besoins spécifiques d’accompagnement, l’intervention aura lieu j’espère en octobre.
J’ai lu à maintes reprises que les nodules thyroïdiens sont souvent liés à une nécessité non assouvie de s’exprimer. Que l’on y croit ou pas, ça me parle quand même beaucoup. Et ce ne serait donc pas étonnant qu’il ait encore grossi ces derniers temps.
Je suis dépendante des autres depuis que je suis née et si les premières années sont communes à tous.tes, la suite m’a été imposée par ma situation de handicap et s’avère de plus en plus pesante avec le temps.
Quand ce sont tes proches ou des gens qui t’aiment, les gestes techniques et la connaissance de tes besoins physiques sont souvent quasi parfaits. Cependant, la relation instaure une auto-censure sur tout ce que j’aimerais demander. Elle instaure aussi nécessairement une certaine domination de l’aidant.e qui se permettra davantage de moins bien répondre aux sollicitations ou de les retarder, voire de les refuser. Avec ce pouvoir destructeur de dire ouvertement ou d’insinuer en cas de remarque qu’on a qu’à se débrouiller autrement. J’ai grandi avec ça et je le vis encore aujourd’hui, et je sais pertinemment que je le connaîtrai jusqu’à la fin.
J’en souffre beaucoup et je ne peux pas dire : « bon, là tu fais de la merde et tu es maltraitant.e » parce que mon amour est/était plus fort et parce que les proches aidant.es font souvent de leur mieux, avec leurs propres faiblesses et humeurs. Alors, je me tais et je fais grossir mon nodule.
Dépendre d’auxiliaires de vie professionnel.les est malheureusement loin d’être une solution idéale non plus. Si vous saviez à quel point je suis exténuée de recruter, recevoir, expliquer, former, éduquer, recommencer… Sans parler de tous les compromis que je dois faire à chaque fois. J’ai dû connaître une seule personne qui correspondait parfaitement à mes attentes, qui savait anticiper, qui avait une humeur compatible avec la mienne et de la débrouillardise pour les multiples tâches demandées. Je ne pense pas retrouver un.e tel.le professionnel.le ou avec une chance incroyable.
Parfois je me mets à rêver de me cloner en valide. Mon double saurait exactement ce que je veux, comment et quand je le veux… Quelle richesse de pouvoir s’occuper de soi-même, d’aller faire pipi, se servir à boire, manger, se gratter, se laver, se maquiller, se coiffer, … sans l’aide de personne et exactement au moment où on le souhaite.
Oui c’est vrai j’envie la bonne santé. Il m’arrive même de souhaiter discrètement que mes proches aient quelques soucis pour mieux comprendre. Et je n’en ai plus honte parce que c’est un sentiment naturel, absolument inutile mais humain.
C’est souvent les difficultés des aidant.es qu’on entend dans les discussions, certain.es s’en nourrissent même pour exister, mais très peu les problèmes et le burn-out des aidé.es à être dépendant.es des autres. Miroir de notre société validiste.
Je crois que lorsque ma santé est plus ou moins bonne, j’arrive tant bien que mal à supporter les boulets de ma vie et à payer le prix d’une certaine autonomie. En ce moment, le surplus d’énergie, que j’utilise d’habitude pour affronter plus sereinement ces charges mentales quotidiennes, est consommé par mes douleurs, difficultés respiratoires et angoisses opératoires. Je ne sais plus ce qu’une nuit reposante signifie et je me réveille encombrée, à devoir changer ma canule, tous les matins. C’est un geste qui soulage mais qui n’est absolument pas une partie de plaisir à cause des irritations internes entraînées par la fréquence.
Alors j’écris aujourd’hui parce que le crier est impossible, parce que je ne peux pas défoncer un mur, courir, me dépenser pour évacuer.
Histoire de ne pas faire grossir ma boule, j’ai envie d’exprimer à cet instant que je ne supporte pas d’entendre que la vie est dure en ce moment pour les gens en forme qui se voient retirer quelques libertés. Est-ce que vous réfléchissez à chaque fois que vous avez soif pour calculer quand vous allez pouvoir boire et quelle quantité avant d’aller aux toilettes, si ça ne va pas trop gêner la personne à qui vous le demanderez ou si elle va savoir le faire ? Est-ce que vous vous épuisez à respirer, à supporter le regard des autres quand vous sortez branché.e à votre tuyauterie, à vous efforcer à sourire parce que c’est la faute de personne, à perdre toute autonomie de déplacement au cinéma, dans les lieux clos, parce que vous ne pouvez plus conduire votre fauteuil à la bouche puisqu’il faut porter le masque et se protéger de ceux qui ne le font pas, à terminer de lire cette phrase dont la simple rédaction m’a fait un bien fou ?
Je m’octroie aujourd’hui le droit d’être moins forte, moins enjouée, moins souriante. Même si c’est difficile pour mes proches, je ne m’en excuserai pas. La plupart serait sous l’eau pour bien moins. Je suis saturée par beaucoup de choses et j’ai le droit au moins de l’écrire en attendant que la vie soit plus douce avec moi.