Radical.e.


Article / mercredi, septembre 23rd, 2020

Ce texte est une traduction de Radical. https://emilyjamar.com/2019/11/09/radical/ , un article publié en novembre 2019 sur le blog d’Emily Jamar. 

Radicale.

« Il m’a fallu de nombreuses années pour régurgiter toutes les saletés qu’on m’avait inculquées, et que j’avais à moitié avalées, avant de pouvoir marcher sur terre comme si j’avais le droit d’y vivre ». – James Baldwin

Je ne pensais pas que j’étais une personne jugée « radicale » jusqu’à ce que je commence à fixer des limites lorsque les gens se comportaient de manière validiste à mon égard.

Dès mon enfance, je sentais que nous devions tous nous traiter avec bienveillance et respect. Je le croyais au plus profond de mon âme, avant même de pouvoir l’exprimer. Pourtant, personne ne m’avait vraiment appris ce qu’était le respect. J’étais censée respecter mes aînés, l’autorité, les règles et tous ceux qui m’entouraient, mais personne ne m’a dit comment me respecter. Personne ne m’a appris ce que signifiait se respecter soi-même. Parallèlement à cette croyance profonde dans le respect de tous les humains, je ressentais une infinie confusion. Si tout le monde devait être respecté, pourquoi tout le monde était si bizarre autour de moi ?

Je me suis énervée toute ma vie, et cela a toujours été perturbant. À l’époque provocatrice et rebelle (toujours encore parfois), ces luttes n’avaient rien de personnel dans ma tête. Lorsque quelqu’un se montrait condescendant envers moi, au lieu de me défendre, on me disait : « Ils voulaient bien faire ». Et quand je leur affirmais que ce n’était pas le cas, on me rétorquait que j’exagérais.

Ces conflits se sont étendus à mes pairs handicapé.e.s. Si vous êtes mon ami.e depuis un certain temps, vous m’avez probablement entendu dire que la plupart des autres personnes handicapées me détestent. Cela est dû à de nombreuses raisons, et bien que je pourrais écrire un article entier sur ce seul sujet, j’ai récemment fait part à un groupe de soutien aux personnes handicapées d’une réflexion insensée qu’un homme m’a faite : « Chouette fauteuil ! » s’est-il exclamé. « Répugnant », ai-je répondu, car je ne trouve pas que c’est un compliment. Soudain, des centaines de personnes handicapées m’ont dit que j’étais un monstre pour avoir remballé un homme qui « voulait bien faire ». Ils sont allés jusqu’à me reprocher d’avoir refusé un partenaire potentiel et de faire passer tou.te.s les handicapé.e.s pour des méchant.e.s, parce que j’ai choisi de me respecter, même dans les plus petits gestes. Le besoin de plaire aux personnes valides au détriment du respect de soi est un validisme intériorisé, profondément et largement répandu.

Si une micro-agression telle qu’un commentaire irréfléchi n’a peut-être pas autant de poids, le même principe s’applique à des actes beaucoup plus graves. Sans entrer dans les détails, j’ai été maltraitée pendant toute mon enfance par un parent. J’ai aussi été maltraitée par un partenaire dans une relation récente. L’année dernière, je me suis complètement sauvée de ces situations et je me suis débarrassée de nombreuses autres personnes toxiques. Je me suis défendue d’une manière que je n’aurais jamais cru possible, et j’ai été confrontée au même comportement, ainsi qu’à une rage débordante. Même dans les circonstances les plus extrêmes. Même face aux abus. Je ne pense pas que mon indignation face à l’attitude qui consiste à vouloir « bien faire », face aux comportements validistes, soit due à la gravité du crime, mais plutôt à la façon dont ceux qui en sont à l’origine me considèrent en tant que personne.

Une grande partie de la vie quotidienne des personnes handicapées est liée aux jeux de pouvoirs, puisque la plupart des gens ont plus de force physique que moi. Cependant, ce n’est pas cette force qui est la menace, mais le pouvoir que l’on présume détenir sur moi. Historiquement, les personnes handicapées ont toujours été l’une des populations les plus isolées. Aujourd’hui encore, au XXIe siècle, les gens s’habituent à voir des personnes handicapées dans la société, et ils ont du mal à imaginer que nous puissions réussir aussi bien qu’eux, puisque nous vivons dans une société capitaliste où la productivité correspond à la valeur. Nous sommes perçus comme improductifs, que ce soit consciemment ou non. Le validisme intériorisé est si profond que le seul fait d’être handicapé.e met beaucoup de gens mal à l’aise.

On me dit toujours que je dramatise, mais plus je vieillis, plus je me rends compte qu’il s’agit d’un véritable abus mental. Il est parfaitement normal que je ne sois pas d’accord avec les commentaires condescendants, les questions non sollicitées et inappropriées, ou tout ce que vous ne diriez tout simplement pas à quelqu’un d’autre. Le sentiment étrange et déroutant que j’ai dans les tripes n’est pas mauvais, contrairement à ce que l’on m’a répété à maintes reprises. On m’a dit que ce n’est pas bien de se plaindre, en fait, que je n’avais pas le droit de réclamer ce genre de limites. Et encore plus en tant que femme handicapée. En fin de compte, choisir de rendre les personnes valides plus à l’aise, à l’encontre de mon ressenti, m’a fait beaucoup de mal et, pour être tout à fait honnête, a entraîné beaucoup d’abus. Je pense que même les plus petites micro-agressions doivent cesser. Je pense qu’elles en disent long sur la façon dont vous me percevez, et je ne pense pas que ces perceptions soient sans danger.

Je me respecte beaucoup aujourd’hui, même s’il a fallu du temps et des années de thérapie pour en arriver là. Toute forme de validisme, aussi minime puisse-t-elle paraître, est inacceptable pour moi. Tout manque de respect est intolérable à mes yeux, malgré ce que la société, mes pairs et le système m’ont répété toute ma vie. J’apprends que cela suffit à être considéré.e comme radical.e.

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