La culpabilité, cette plaie


Article / jeudi, octobre 31st, 2019

J’ai grandi avec des parents qui se sont occupés de moi, du mieux qu’ils ont pu !

Ma mère culpabilise de nous avoir mis au monde ma sœur et moi avec cette maladie génétique. Culpabilisée, elle a toujours été aussi très culpabilisante et n’hésitait pas à nous répéter qu’elle ne pouvait pas faire ceci ou cela parce qu’elle avait fait ce choix. Certainement par souffrance, cette culpabilisation transpirait dans de nombreux de ses propos. Je ne suis pas là pour lui faire des reproches, cela n’a certainement pas dû être simple et je le sais.

Je suis là pour parler de l’effet que cela a eu sur moi dans la construction (ou plutôt destruction) de mon ego et de ma difficulté à sortir de cette culpabilité.

De façon raisonnée, je sais très bien que s’occuper de moi a été un choix (l’était-ce vraiment ?) et que je ne suis pas coupable de mon handicap. Toutefois, je ne peux m’empêcher de penser que ma simple existence apporte forcément des souffrances puisque mon handicap, c’est moi et moi je suis mon handicap ! Nous n’existons pas l’un sans l’autre, sans moi, il n’y aurait plus de handicap, sans handicap il n’y aurait pas la femme que je suis.

J’ai toujours énormément culpabilisé d’avoir à toujours tout demander à mes parents. Je devais penser en permanence à anticiper plusieurs requêtes à la fois, pour ne pas les faire se déplacer plusieurs fois. Sentant leur agacement, parfois ouvertement verbalisé, de façon violente parfois, j’ai préféré réduire mes demandes au strict minimum vital comme boire, manger, aller aux toilettes, etc., et mettre de côté beaucoup d’autres envies pour ne plus déranger.

Avec mon compagnon actuel, qui a décidé de m’accompagner en bonne partie également, entre autres pour une question de tranquillité et d’intimité hors auxiliaire de vie, de nombreux schémas se répètent. Être dépendant d’un être que l’on aime rend les choses extrêmement complexes.

Je culpabilise fortement et cela me met dans des souffrances telles que j’en deviens agressive avant de m’effondrer.

Je n’arrive pas à sortir de ce cercle vicieux où je m’autodétruis en culpabilisant à ce point.

Même si mon compagnon me répète qu’il m’a choisi avec les contraintes de mon handicap, je sais comme cela prend du temps. Ce n’est pas ma faute mais je suis tout de même responsable de tout cela par le simple fait de respirer. Depuis très longtemps, cette culpabilité est à l’origine de nombreuses volontés de mettre fin à mes jours pour ne plus avoir à ressentir la fatigue que mon handicap pouvait provoquer chez les personnes qui s’occupaient de moi.

Vous allez me dire, tu n’as qu’à faire appel à des personnes payées dont c’est le seul job. Sauf que ce n’est pas si simple que cela ! L’intervention 24h/24 d’auxiliaires est aussi incroyablement épuisante pour un couple. Il faudrait pouvoir les faire apparaître et disparaître au moindre coup de baguette magique !

Dans tout cela, je cherche toujours à savoir comment travailler sur moi pour me sentir mieux. Il faudrait que j’arrive à faire abstraction de l’humeur variable qu’une personne qui m’aime peut afficher en m’accompagnant. Mon hypersensibilité rend ce détachement impossible. Je pense qu’il n’y a pas grand monde qui accepterait d’être manipulé par quelqu’un qui tire la tronche et qui en devient forcément maltraitant et dont la violence de comportement se répercute dans les gestes.

Or, loin de glisser sur moi, ça me transperce à chaque fois. C’est comme une plaie, qui ne guérira jamais et qui se rouvre en permanence les quelques fois où mon accompagnement au quotidien est difficile pour l’autre.

Il faut aussi que je parvienne à me dire que l’on peut m’offrir un amour en souhaitant m’accompagner au quotidien, avec ses hauts et ses bas !

Je dois pouvoir exprimer ce qui me gêne ou ce que je veux sans culpabiliser, car sinon c’est moi que je vais oublier. Car, l’entourage a toujours tendance à mettre en avant tout ce que l’aidant peut faire comme efforts pour l’aidé mais très peu se rendent compte de l’inverse.

Concrètement, c’est par exemple ne pas demander à aller aux toilettes quand on rentre de quelque part alors qu’on a très envie, parce qu’on va se coucher dans quelques heures à peine et qu’on ne veut pas entraîner une double manipulation. C’est par exemple resté au lit, sans rien faire, à cogiter forcément, pour laisser dormir l’autre. C’est accepter de manger moins dans une soirée car l’autre étant dans la conversation vous oublie un peu, ce qui est plutôt bon signe car cela prouve qu’il ne s’ennuie pas. C’est encore ne pas forcément être coiffée ou maquillée comme vous l’auriez souhaité, etc.

À l’inverse, l’autre renonce aussi à certaines choses, je le sais. Mais je souhaitais le souligner pour que l’on réalise que les efforts sont partagés.

J’aimerais aussi parler de ce petit pouvoir que les personnes aidantes quelles qu’elles soient ont forcément sur la personne aidée. Outre les abus que l’on peut connaître dans les institutions, il est également existant dans toute forme de dépendance et notamment dans les familles, couples, etc. La personne physiquement forte a toujours le dernier mot en termes de décisions d’action ou non et a tendance parfois, et c’est humain, à en profiter ! Mes parents l’ont fait, mon compagnon le fait et je les aime pourtant. C’est une dure réalité, difficilement modifiable dans les relations, même si c’est destructeur encore une fois.

Cela dit, c’est tellement agréable quand la personne que vous aimez et qui vous aime s’occupe de vous avec bienveillance, dans la bonne humeur, la complicité, la tendresse, les rires et l’amour. C’est quelque chose que vous n’aurez jamais avec vos auxiliaires de vie, ou très rarement. Et rien que pour cela, en essayant d’améliorer certaines réactions personnelles et surtout en ayant moins peur d’en parler au proche infligeant plus ou moins consciemment cette souffrance, ça vaut le coup de supporter les facettes noires et difficiles de l’accompagnement au quotidien par un proche.

2 réponses à « La culpabilité, cette plaie »

  1. Bonjour je suis kinésithérapeute et aveugle j’ai aussi souvent besoin d’aide et parfois j’aide mes patients, j’ai lu avec attention votre article. J’ai aussi vécu la culpabilité et la culpabilisation de ma mère face au handicap, aujourd’hui j’ai 60 ans et je peux vous rassurer concernant la culpabilité on peut s’en défaire c’est compliqué et long et un jour on réalise que si on ne sait pas le pourquoi de ce qu’on a à vivre on peut trouver le pour quoi on le vit. Pour moi c’est d’être proche et en empathie avec les gens qui ont besoin de mes mains et ça m’a permis de me dire que cette aventure de vie imparfaite et avec dépendance était la mienne et la plus belle chose qui pouvait m’arriver, la culpabilité s’en est allée un jour sur la pointe des pieds et vraiment ça m’a beaucoup soulagée. Vous aussi un jour vous la verrez disparaître sans avoir rien fait de spécial. Amitié

  2. « Aidante » par nécessité de mon mari durant ses 10 années post-accident (paraplégie + TC), je ne peux qu’être très touchée par ton récit dans lequel je nous retrouve tous les 2 selon les phrases… Je l’ai lu parce que j’ai été attirée par le mot « culpabilité » – dans notre cas, c’est moi qui la vis bien plus que lui (il a eu le « chance » (?) d’être dans le déni des années en ce qui concernait les conséquences de son handicap sur toute notre famille). L’aidant et l’handi, chacun des deux peut et doit être écouté – et compris, mais ça c’est autre chose. Bravo et merci pour ce que tu écris.
    Emma

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